Suite à un article sur un site... un peu t(r)op chrétien, les joueurs de jeux de rôles, professionnels, amateurs et autres ont lancé, sur l'initiative d'un des grands ludosaures romands, une action pour présenter au monde que les rôlistes, qu'ils créent des jeux ou jouent une fois l'an, ne sont ni des monstres, ni des malades mentaux boutonneux dans des caves sombres et humides. Les nombreux témoignages de mes confrères rôlistes sont tous relayés sur un tumblr dédié pour l'occasion !
J'apporte donc ma pierre à l'édifice.
Moi, rôliste. Si je devais me définir, je pense que je ne m’y prendrais pas autrement. Suis-je avant tout traducteur ? Universitaire ? Enseignant ? Communiste ? Bouddhiste ? Non, je pense que je suis avant tout rôliste, mon activité maîtresse, celle qui me permet, en plus, d’être acteur, auteur, animateur de soirée et hôte, je l’espère, de qualité.
Un adulte sans boutons
J’ai commencé le jeu de rôles somme toute peut-être un peu plus tard que la moyenne, aux alentours de ma majorité. J’avais fait, avant, beaucoup d’activités similaires, mais ce n’est pas avant que j’ai eu l’opportunité de trouver les jeux en question et de rassembler une vraie équipe de joueurs. Difficile, donc de m’imaginer en ado boutonneux à s’adonner à des jeux de rôles masturbatoires dans une cave : je n’ai vraiment joué qu’à l’âge adulte.
C’était pour moi la suite logique des nombreuses activités théâtrales auxquelles je participais alors (en particulier l’improvisation), tout en me permettant à la fois d’être l’auteur des scénarios, et parfois même des jeux que je proposais — rien de bien complexe, quand on s’y connaît, un univers de jeux de rôles tient en trois pages (et dans la tête de son auteur).
On me dit cultivé : j’aimais l’école plus que de raison, et je me suis lancé dans de longues études, jusqu’à en arriver à me diplômer en Chinois et Japonais, dernière langue pour laquelle je suis aujourd’hui traducteur. Plus même : grâce à la communauté rôliste (qui est petite), j’ai aujourd’hui l’opportunité d’y exercer ma jeune profession, ce qui, pour moi, est un accomplissement : je me mets au service à la fois des relations entre les cultures et au service du monde des loisirs imaginaires, ce qui est pour moi un accomplissement (même s’il n’est pas encore accompli : il faut bien commencer pour finir un jour).
On peut donc dire, en effet, que le jeu de rôles est pour moi un filigrane qui traverse – et traversera toute ma vie d’adulte. Je ne suis pas professionnel du jeu de rôle (enfin, ce n’est pas ce qu’on peut dire), et je ne joue pas plus de quelques heures, ou une dizaine d’heures par mois, même si j’y consacre plus de temps, en tant que « créateur » des parties que je propose à mes compagnons de jeu.
Foi et jeu
Si nous devons nous dévoiler aujourd’hui dans ces lignes, nous, rôlistes (et il aurait toujours suffi de me le demander pour le faire : je ne pense pas avoir à cacher mes convictions, mes idéaux ou la nature de mes loisirs), c’est un article sur le fameux Top Chrétien, le site évangélique francophone, qui véhicule des propos sur le jeu de rôles qui ne sont pas nouveaux.
De par mon enfance dans la campagne suisse, mes différents travaux d’étudiants et au service de la patrie (c’était la Suisse, je le rappelle), mon entourage et mon instruction religieuse, je connais bien, et même très bien, une partie de ce milieu évangélique. C’est vrai qu’ils sont plutôt conservateurs, c’est vrai qu’ils ont souvent un problème à accepter les choses du « Monde » (ça ne vous rappelle rien ?), mais dans l’ensemble, j’y connais des rôlistes passionnés qui ne voient pas en quoi Foi et jeu de rôles peuvent provoquer le moindre accroc.
Et moi aussi j’ai la Foi. Certes je ne suis pas chrétien, et je ne crois pas qu’il existe de Dieu, mais je ne me suis pas non plus mis sous la protection des divinités nordiques ou celle des vents des quatre directions et je n’ai pas non plus rejoint de secte. Je crois ce que je crois, ce qui correspond à ce que croient des centaines et des centaines de millions de gens dans le monde, de façon tout à fait officielle. Et pourtant, cela n’a pas d’influence sur mon amour et ma passion du jeu de rôles : c’est une activité sociale, une activité d’échange et d’amitié. Mieux : le jeu de rôles peut rassembler les gens de toutes confessions (et sans confession), parce que, fondamentalement ça n’a pas d’importance.
Mais il y aura toujours des gens qui auront peur pour leurs enfants, qui ont peur à chaque instant de leur vie que les Autres (tous, ou seulement ceux qu’ils aiment) refusent de suivre leur Vérité, qui a tellement conditionné leur Être qu’ils ont oublié (ou alors qu’ils se sont carrément convaincu) qu’elle était Une et non un concept basé sur leur seul point de référence…
J’espère vous avoir fait comprendre, dans ces lignes, je l’espère, que c’est par le jeu de rôle, ses univers, sa scène, ses amitiés et ses gens extraordinaires que j’en suis là, aujourd’hui, moi, Philippe Luthi, moi, traducteur d’une langue étrange de la terre, moi, voyageur de mondes imaginaires, moi, adulte responsable, moi, bouddhiste, moi, communiste, moi, fiancé et heureux en ménage, moi, rôliste.